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PRÉFACE



Les armoiries apparaissent un peu partout en Europe occidentale à l’horizon des années 1140. Dès l’origine, la langue utilisée pour les décrire est la langue vernaculaire et non pas le latin, probablement parce que l’Église est entièrement étrangère à la naissance de ces nouveaux signes sociaux et visuels. Ceux-ci ont pour fonction de dire l’identité des combattants sur les champs de bataille et de tournois ; comme tels, ils sont d’abord décrits par des hommes de guerre et par des hérauts d’armes, dans une langue qui n’est pas encore savante, ni même particulière.

Rapidement, toutefois, l’usage des armoiries cesse d’être limité aux seuls combattants : princes, seigneurs ou chevaliers. Il s’étend aux femmes, aux clercs, aux habitants des villes, aux artisans et même aux paysans ; puis, un peu plus tard encore, aux personnes morales : villes, corps de métiers, confréries, communautés religieuses, institutions et juridictions diverses. A la fin du XIIIe siècle, l’ensemble de la société occidentale fait usage d’armoiries. Celles-ci sont à la fois des signes d’identité, des marques de possession et des motifs ornementaux. Elles sont présentes en tous lieux et sur de nombreux supports ; pour les décrire on utilise désormais une langue spéciale : la langue du blason 1. Celle-ci s’est constituée au fur et à mesure de la diffusion des armoiries dans l’espace géographique et dans l’espace social entre le milieu du XIIe siècle et la fin du XIIIe, date à laquelle elle atteint déjà, en France et en Angleterre, une pleine maturité.

Longtemps délaissée par les philologues, cette première langue du blason a fait l’objet de quelques travaux importants depuis les années 1960 : ceux du professeur américain Gerard J. Brault et de ses élèves portant sur les l’ancien français et l’anglo-normand, étudiés surtout à partir des armoriaux et des textes littéraires2. Cette langue s’appuie sur un lexique spécifique, emprunté pour une bonne part au vocabulaire des étoffes et du vêtement, et sur une syntaxe originale, qui n’est pas celle de la langue littéraire, encore moins celle de la langue ordinaire, mais qui permet, avec une économie de moyens remarquable, de décrire toutes les armoiries avec une grande précision. Blasonner des armoiries en langue vulgaire ne pose guère de problème au poète, au romancier ou au héraut d’armes du XIIIe siècle.

C’est surtout ce dernier qui de par ses activités à l’occasion de pratiquer cette langue nouvelle. A l’origine, le héraut d’armes est un fonctionnaire au service d’un prince ou d’un grand seigneur ; il a pour mission de porter les messages, de déclarer les guerres et d’annoncer les tournois. Peu à peu il se spécialise dans ce dernier domaine et lors d’un tournoi, un peu à la manière de nos reporters modernes, il décrit pour les spectateurs les principaux faits d’armes des participants. Cela le conduit à approfondir ses connaissances en matière d’armoiries, car ce sont celles- ci, et elles seules, qui permettent d’identifier les tournoyeurs, méconnaissables sous leur armure. Progressivement, les hérauts deviennent donc de véritables spécialistes des armoiries ; ils en codifient les règles et la représentation ; ils fixent la langue qui sert à les décrire ; ils parcourent l’Occident afin de les recenser et de compiler des recueils où ils peignent ou dessinent les armoiries qu’ils rencontrent. Ces recueils s’appellent des armoriaux ; certains comptent parmi les plus beaux manuscrits enluminés que le Moyen Age nous a laissés.

Á partir de l’époque moderne, le savoir des hérauts va déclinant et la science héraldique passe aux mains des érudits : historiens, philologues, « antiquaires » comme on dit aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ils s’intéressent moins aux armoiries qui leur sont contemporaines qu’à celles des époques précédentes. Ce sont des hommes de cabinet, qui ne parcourent pas les champs de bataille et de tournoi mais les bibliothèques et les archives. Par là même, ils pratiquent une langue du blason qui, contrairement à celle des hérauts d’armes, est une langue morte, technique, documentaire. Leur souci de précision est extrême, parfois excessif ; en matière de figures, par exemple, ils veulent tout dire : positions, dispositions, attitudes, attributs, nombres, particularités, vocabulaire du blason s’enrichit d’un grand nombre de termes nouveaux, certains bienvenus, d’autres inutilement précieux, d’autres encore superflus ou redondants. La phrase héraldique se fait longue et complexe, d’autant que les armoiries elles-mêmes se chargent de nombreuses figures et se découpent en de multiples quartiers.

Disparue dans la tourmente révolutionnaire, la science héraldique mit au XIXe siècle longtemps à se reconstituer. Les blasonnements de l’époque romantique sont souvent fantaisistes et erronés. Il faut attendre le développement de l’érudition savante, à partir des années 1860, pour retrouver des descriptions d’armoiries correctes. Mais comme leurs prédécesseurs du XVIIe siècle, les érudits de la fin du XIXe et du début du XXe eurent du mal à être sobres. Le lexique du blason s’allongea encore et la lourdeur de la langue s’ajouta à celle du dessin, bien vilain en France entre les années 1830 et 1950.

Remercions Emmanuel de Boos de nous proposer aujourd’hui un dictionnaire du blason qui non seulement fournit des définitions claires et précises mais qui s’efforce de distinguer l’utile de l’inutile, l’ancien du récent, le précis du confus. Pour ce faire il se fonde sur sa grande connaissance des sources et confirme qu’il est un de nos meilleurs connaisseurs de l’héraldique médiévale et moderne. Son travail devrait servir aussi bien aux profanes qu’aux chercheurs confirmés. Il devrait également intéresser les philologues et les linguistes. A l’avenir, en effet, la langue du blason mériterait d’attirer davantage leur curiosité. Non seulement elle dit beaucoup avec peu, non seulement elle apparaît comme un code extrêmement élaboré, mais elle est celle qui se prête le mieux à la description des images, en donnant toujours priorité à la structure sur la forme. Elle est en outre dotée d’un immense pouvoir poétique et onirique : «de sable à trois huchets d’or», «d’hermine à la fasce vivrée de sinopie », « de gueules au léopard lionné d’argent, armé et lampassé d’or, la queue fourchue et passée en sautoir », « d’argent à la croix en grêlée de vair, chargée en cœur d’un tourteau gironné d’hermine et de sinopie et cantonnée de quatre dauphins pâmés de sable et peautrés d’or ».

Michel Pastoureau